LES LANGUES DU PARADIS

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Xavier Queipo

 

Quand j’étais petit, très petit

à l’âge intimidant des questions,
où est le paradis? demandai-je.

Papa, sans douter un instant, répondit avec assurance:
tu dois toujours le trouver entre deux fleuves,
le paradis dont tu ne sortiras jamais,
si tu t’y efforces  vraiment.

Entre deux fleuves, pensai-je alors,
entre le Sarela et le Sar,
où se trouve la maison des grands-parents, à Compostelle.

Le paradis, entre deux fleuves,  pensai-je soudain,
alors la langue que parle mon père
doit forcément être la langue du paradis.

Le temps passa, qui apporte tant de surprises,
à l’école, on me parla sans réserve,
catégoriquement d’un dogme inventé:
“le paradis se trouve entre  le Tigre et l’Euphrate,
des rivières éloignées au bord du désert”.

Je partis parcourir des distances de par le monde,
et  me rendis compte par moi-même, avec un certain étonnement,
que le paradis se trouvait là-bas, dans les Tropiques,
entre le Congo nourricier ensanglanté,
et le Zambèze infesté de caïmans.

Un ami qui voyagea par cette terre-là,
déclara que c’est toute l’Amazonie
avec son réseau miraculeux d’affluents,
le paradis perdu auquel rêvaient
les ancêtres qui s’embarquèrent sans retour.

J’ai lu dans un livre de voyages en Inde
au début du siècle passé, qu’entre le Gange et l’Iamuna
les dieux situèrent le panthéon brahmanique:
le paradis où jamais on ne retourne.

 

 

Le Yin et le Yang dans les fleuves immenses
qui  sillonnent la Chine en mutation,
le paradis confucéen et taoïste,
les trois Gorges du fleuve Yang-tsé
et la Rivière des perles, avec son delta merveilleux.

A présent, je suis ici sur cette terre accueillante,
une terre fertile, vigoureuse et affectueuse,
plaine de la Meuse, de l’Escaut et des canaux,
et je sais sans hésiter  où se trouve le paradis,
auquel  j’arrivai un jour pour y rester.

Dans les rues se fondent divers registres vocaux:
dès lors les langues que l’on entend ici,
que parlent les voisins et les amis:
seront  toutes, donc,  les langues du paradis.

 

 

Bruxelles, 9 et 10 juin 2007