Mes amis, j'ai cinq choses à vous dire,
Comme les cinq doigts de la main que je tends
A chacun de vous:
De pierre sont les yeux qui vous regardent,
De pierre les dalles où vous dormez
De pierre la tristesse de l'insoumission et de l'indifférence
De pierre aussi la liberté conquise
De pierre le reflet de la lune qui renvoie le froid et la solitude
Fabienne, surnommée Cali ou Kalimero, 47 ans, décédée dans un stupide accident
N'accepte pas la consolation commode ou le triste adieu des absents
En chaque objet, en chaque individu, en toute circonstance
Il y a une jarre qui déborde de choses délicieuses
Eux le savent et reviendront un jour pour rendre leur tribut des aimés
Xavier, surnommé James, 51 ans, un très grand cœur, amoureux peut-être
Neuf trous à la flûte traversière
Comme les neufs orifices de ton corps
Tu t'exprimais comme une musique
Brillante surgissant du centre de ton monde
Fátima, 50 ans, marocaine
Le souvenir d'autres géographies, le principe du retour
Qui t'a fait abolir rythmes et saisons? demandait-on,
Si je le savais, répondais-tu, il y a longtemps que je serais chez moi
Dans l'attente de l'aube pour commencer le jour en chantant
Jean, 48 ans, fan de David Bowie
J'ignore d'où je viens et le pourquoi de cette vie, disais-tu
Si je le savais, je dirais peut-être que je proviens d'un monde différent,
Je suis grec, petit, tristement coiffé
J'aime la musique et, dit-on, je rêve toujours d'un retour
Kazimierz, surnommé Kokosi Ceb, 46 ans,
Pleurant la nuit dans l'obscurité du labyrinthe, toujours aimable
Te levant chaque jour avec mille questions sans réponse
Tu regardes le ciel et déclares, sans colère, posément, sans ambages :
J'ai perdu un ami, j'ai perdu l'espoir, j'ai tout perdu
Michèle, 66 ans, femme mariée
On dit qu'il n'y a pas d'avenir pour nous,
Bien sûr, ce n'est pas se tromper beaucoup
Mais demain nous ne voulons pas, aujourd'hui oui
Et pouvoir respirer librement, jouir, rêver et exister
Jonathan, 26 ans, aimant cafés et bonnes conversations
Tu courais à sa recherche, mais il n'y avait pas de fil pour sortir du labyrinthe
Au-delà du vide ton chant s'arrêtera:
Ouvre une fenêtre dans ta poitrine
Laisse le vent entrer et sortir sans obstacles
Dumitriu, 45 ans, mendiant roumain
Ferme un instant les yeux, tu verras aussitôt par le troisième œil,
Celui de l'illumination, de la paix, du trépas peut-être
Et si, en effet, tu as fermé les yeux, mais oublié de les rouvrir
Tu es alors un vent fertile inondant le lointain de semences
Agata, 47 ans, polonaise
Maintenant je me souviens de l'histoire qu'on m'a racontée,
De l'instant lucide quand tu t'es mis à chanter
Une mélodie de joyeux adieux:
Avec la pleine lune dans le corps, ton unique chez toi
Farah, 28 ans, une femme jeune et lutteuse
La sensation de se trouver en plusieurs endroits au même temps
D'éprouver l'agréable confusion, la douce cacophonie des langues et des coutumes
Dans cette région d'horreurs où te conduisit le courant des fleuves
Qui débouchent toujours dans l'immense océan du silence.
Marcin, 28 ans, timide, mince, les cheveux courts
Tes amis étaient pour toi comme l'eau dans le courant
Comme la fleur du lotus dans la quiétude de l'étang
Ne crains rien à présent dans la rivière de l'adieu, Caron te console:
Tout ce que tu as perdu reviendra lorsque tu dormiras
Geoffrey, 33 ans, haut comme une tour
Il faudrait une bouche aussi grande que le ciel
Pour exprimer l'univers qui s'épand en toi
Mais en vérité c'est toi qui parles soudain:
Tu racontes ton histoire, ta vie pleine de secrets
Claude, dénommé petit Claude, 57 ans, souriant toujours
Ecoute-moi un instant, tranquillement, comme toujours,
Ecoute les bénédictions et les salutations, Gentilhomme
Les éclats de rire, peut-être, des amis que tu fais s'esclaffer
Et jettent des fleurs à propos de ton affaire,
Jozef, 63 ans, celui du regard complice
A la frontière, tente d'être une feuille blanche
Un endroit du monde où rien ne pousse par soi-même
Où il faut peut-être planter quelque chose
Pour que germe la semence de l'absolu
Steve, 38 ans, mythomane impénitent
Le seul vin que tu buvais était celui de ton propre sang
Ton corps s'agitait et tu aurais donné tout ce que tu possèdes
Pour une autre gorgée de vie amère et rénovée
Chaque objet, regard, sourire amical
C'était une coupe débordante de choses délicieuses
Jaroslav, dit (l') inconnu, 30 ans, de nationalité polonaise
Rien ne subsiste dans la boue du monde, rien que silence et vide
En confuse excitation et un obscur désordre
Qui progresse et s'impose à tout en annonçant ton absence,
Une de plus, la plus triste peut-être, celle de l'inconnu
Mes amis, j'ai cinq choses à vous dire,
Comme les cinq doigts de la main que je tends
A chacun de vous:
De pierre sont les yeux qui vous regardent,
De pierre les dalles où vous dormez
De pierre la tristesse de l'insoumission et de l'indifférence
De pierre aussi la liberté conquise
De pierre le reflet de la lune qui renvoie froid et solitude
Ferme un instant les yeux, aussitôt tu verras par le troisième œil,
Celui de l'illumination, de la paix, du trépas peut-être
(Xavier Queipo, Bruxelles, février 2012)
Traduction: Gisèle De Ro
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